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Les Voies d’Elles - Association des lesbiennes de Grenoble

Sylvie Meinier

sylvie.meinier@orange.fr

L’association des lesbiennes de Grenoble les Voies d’Elles a été créée en 1992. Issues du mouvement féministe, ses fondatrices souhaitaient que ce mouvement soit non mixte.

Les Voies d’Elles ont participé à la fondation de la CLF ainsi que du centre LGBT de Grenoble.

En 2010, nous avons commencé à travailler sur les questions de demande d’asile. Curieusement la première demande était celle d’un gay persécuté dans son pays d’origine et qui était tombé sous le coup d’une OQTF. Il a contacté le centre LGBT de Grenoble et Les Voies d’Elles. Arrêté et placé en centre de rétention administrative, il a été libéré suite à une importante mobilisation.

L’année suivante, nous avons été contactées par une femme du Cameroun qui venait d’arriver en France dans des circonstances tragiques. Elle avait contacté, par l’intermédiaire d’une association d’aide aux demandeurs d’asile de Grenoble, une association située en Charente-Maritime. Cela signifiait que les Voies d’Elles, mais aussi le centre LGBT de Grenoble, n’étaient pas connus de ces associations.

Un de nos premiers travaux a été de nous faire connaître par ces associations. Nous nous disions qu’il devait y avoir d’autres lesbiennes demandeuses d’asile mais nous ne savions pas comment les trouver. Et en effet ces associations nous ont fait rencontrer d’autres gays et lesbiennes demandeurs et demandeuses d’asile. En tout, nous en avons rencontré sept. Une seule n’a pas obtenu l’asile à la CNDA.

Nous avons participé à des cérémonies de marrainages républicains, plusieurs copines acceptant de devenir marraine d’une ou d’un demandeur d’asile. Désormais ces associations nous connaissent et nous nous soutenons réciproquement.

Très vite, la solidarité des lesbiennes des Voies d’Elles et des groupes alternatifs transpédégouines s’est organisée. Cela a permis de trouver des solutions pratiques comme des téléphones mobiles qui ne servaient plus, un vélo, de la nourriture, voire un hébergement, très rapidement.

Des lettres de soutien nombreuses ont été écrites. Ces lettres sont très importantes car elles attestent de la participation des demandeuses d’asile à la vie associative lesbienne. Cela semble avoir été important dans les décisions finales de la CNDA si l’on en croit les attendus justifiant l’accord de l’asile émis par celle-ci.

Autre point important : la rencontre avec les élus locaux. Nous avons obtenu de députés-maires voire de sénateurs de gauche des lettres de soutien et même des interventions auprès du ministère de l’intérieur. Chose qui nous a paru incroyable, le ministre Manuel Valls a écrit au préfet de l’Isère pour attirer son attention sur le cas de la seule lesbienne de l’Isère déboutée du droit d’asile. Il semblerait que cette intervention a permis la levée de l’OQTF qui frappait cette personne.

Une de nos difficultés a été de convaincre les LGBT que nous intervenions dans le cadre de la lutte contre la lesbophobie et l’homophobie. Il n’était pas question de se substituer aux associations d’aides aux demandeuses et demandeurs d’asile notamment pour les questions administratives pour lesquelles nous n’étions pas formées, ce qui effrayait certaines. Par contre les militants et militantes de ces associations n’étaient pas forcément au point sur les questions de lesbophobie et d’homophobie. Nos actions étaient donc complémentaires.

Il faut bien expliquer à nos adhérentes que chacune peut apporter une aide même minime : de la nourriture, des vêtements ou du linge, de la vaisselle, des appareils comme radio, télé, téléphone portable, ou même un petit signe d’amitié, un coup de téléphone de temps en temps, une invitation à participer à des activités, etc.

Autre difficulté : garder le lien avec les lesbiennes qui étaient logées dans des centres d’hébergement éloignés de la ville (parfois à 90 km de Grenoble). Il est évident que les demandeuses d’asile ne peuvent assumer les frais de déplacement qui leur permettent de rencontrer nos associations. De plus, ces personnes ne peuvent pas toujours nous contacter par téléphone. Il est donc important d’organiser aussi une solidarité financière ou un budget spécial dans la comptabilité des associations, afin que ces frais soient pris en charge. Le lien physique entre ces personnes et les associations est très important notamment pour obtenir ensuite des lettres de soutien de la part des militantes. De plus cela permet aux demandeuses d’asile de ne pas rester isolées. Leur situation est déprimante et souvent elles sont dans des pathologies liées à cette dépression : troubles du sommeil, angoisses, etc. L’isolement peut donc rendre leur dépression encore plus profonde.

Enfin, nous avons fait attention à ne pas sombrer dans le maternalisme. En effet, nous avions remarqué une tendance paternaliste chez certaines personnes des associations d’aides aux demandeuses et demandeurs d’asile. Nous étions allées à une première réunion avec une demandeuse lesbienne et nous avions toutes trois été horrifiées par les propos tenus par certains. Il faut bien se dire que les demandeuses d’asile sont des adultes responsables, que nous ne pouvons pas faire pression sur leurs décisions ou leurs choix même si nous ne sommes pas d’accord avec elles. Par exemple, à Grenoble, certaines demandeuses d’asile font partie de réseaux à caractères religieux, catholiques et protestants, dans lesquelles elles sont au placard, mais qui jouent un rôle non négligeable dans leur quotidien. Si nous sommes là pour les aider à décoder certains aspects de notre société auxquels elles ne sont pas habituées, nous ne pouvons interférer dans leur vie personnelle.

Pour conclure, cette action autour des demandeuses d’asile a eu pour effet de remobiliser un certain nombre d’adhérentes autour d’un objectif politique, notre association comme beaucoup d’autres ayant des difficultés à survivre.

Un des moments forts de cette action a été le coup de fil de Marie-Josèphe nous proposant que C.Q.F.D. prenne en charge les frais d’avocate de l’une des demandeuses d’asile de l’Isère. Nous avions suggéré cela dans le petit bimestriel des Voies d’elles et C.Q.F.D. nous avait devancées.

De même, le coup de fil nous invitant à participer à la rencontre de la Coordination en Alsace l’année dernière. Nous avons alors constaté que d’autres groupes de lesbiennes effectuaient un travail similaire. La constitution d’un réseau afin d’échanger nos expériences aussi bien personnelles que politiques a constitué une bouffée d’oxygène.

De plus, cela permit de décupler la solidarité car les copines de Paris ont accueilli les demandeuses d’asile de province, les accompagnant même lors de leur audience à la CNDA. Jusqu’alors nous activions nos réseaux personnels (familiaux, amicaux, etc. qui recoupaient parfois des réseaux militants). Mais la perspective de savoir que désormais nous pourrions compter sur les copines des "Lesbiennes dépassent les frontières" ou de C.Q.F.D. a été un immense soulagement et pour les copines demandeuses d’asile et pour nous.

Nous avons aussi appris beaucoup de choses aussi bien sur certains fonctionnements de la société française que sur les sociétés des pays dont venaient les demandeurs et demandeuses d’asile.