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culture

 

Solidarité Lesbiennes Of Color : activisme de lesbiennes d’Algérie et des Caraïbes

 

Lesbienne en Algérie

Je m’appelle Yasmine, je suis Algérienne.

Je suis féministe radicale et lesbienne. C’est la première fois que je me présente comme ça devant autant de monde que je ne connais pas. D’habitude, je m’arrête à féministe.

Je fais partie d’un collectif féministe initié il y a maintenant une année. On était au départ peu nombreuses (trois en fait, toutes amies) et là on est quand même arrivées à créer un petit noyau de 20 femmes qui ont envie de militer pour les femmes.

Nous voulions au départ créer une association, nous avons passé beaucoup de temps à discuter notre future charte que nous voulions construire en groupe, en discutant les grandes questions féministes, ça nous a permis de partager nos expériences, de passer de l’individuel au collectif et de prendre conscience du patriarcat ensemble... Finalement, nous avons préféré rester un collectif informel. Nous avons projeté des films, organisé des rencontres-formations, nous avons une petite bibliothèque de livres féministes et avons dernièrement commencé un groupe d’auto-défense féministe. L’organisation est bien sûr horizontale, nous décidons au consensus. Cela dit, je suis ici à titre individuel.

Au début, ce qui a été le plus difficile, c’était de convaincre le groupe de l’intérêt d’être en non-mixité. Un sujet qui a eu tendance à revenir sans arrêt pendant les réunions, surtout quand des nouvelles rejoignaient le groupe, mais qui a tout de même fini par être intégré et revendiqué par toutes.

Ces discussions reprenaient souvent les mêmes thèses, soit le sexe des gens ne compte pas si nous avons les mêmes idées, soit l’idée très peu féministe que c’est positif que certains hommes soient avec nous parce que ça aidera à convaincre les femmes de l’intérêt du féminisme.
 
Nous avons parlé de la prise de parole dans une assemblée mixte qui est statistiquement monopolisée par les hommes, et du besoin de se retrouver loin des dominants, d’échanger des expériences loin du regard et des commentaires masculins.

En Algérie, la mixité a été le combat de certaines féministes, parce que certains espaces sont interdits aux femmes, parce que nous sommes contraintes à des couvre-feu (plus ou moins tacites mais qui n’en demeurent pas moins effectifs)... Aussi, pendant les années 90, les islamistes ont souvent attaqué la mixité à l’école. Il a donc fallu expliquer comment la non-mixité féministe choisie contrairement à celle qui nous est imposée par les hommes pour nous tenir loin de l’espace dit public n’était pas un retour en arrière, ni une ségrégation. Je crois que depuis, nous avons bien eu l’occasion de vérifier le bonheur d’être entre femmes et l’énergie militante révolutionnaire que ça libère en nous.

Mais en parallèle, j’ai à plusieurs reprises pensé à créer un groupe féministe lesbien parce que je ne me retrouvais pas entièrement dans le collectif à majorité hétérotes. Je me retrouvais à éviter de parler de mon expérience parce que les filles avaient peur qu’on étiquette le groupe de lesbien (et qu’on le discrédite en ces termes). Je voulais me donner à quelque chose de féministe ET lesbien. Pas l’un sans l’autre, et pas en mixité. Je crois que ce qui m’a manqué, c’est des filles motivées et un peu plus de liberté de mouvement et de sécurité (chose que je n’ai pas tant que je vis chez mon père).

Il faut savoir qu’en Algérie, outre la lesbophobie ambiante, les actes homosexuels sont punissables par la loi ; il serait donc impossible d’avoir un agrément pour créer une association. Mais que malgré ça, il existe déjà deux groupes LGBT (mixtes donc) qui militent de manière plus ou moins secrète.

J’ai parlé du projet avec des militantes d’Algérie et d’ailleurs, plus ou moins au courant du contexte, et on m’a assez découragé en me parlant d’un danger que je ne connaissais que trop bien.

Il faut savoir que depuis, nous avons fait du chemin avec mon groupe. Et que maintenant, j’arrive à parler de lesbianisme et même de lesbianisme politique en réunion.

Le groupe nous apporte beaucoup, c’est une thérapie pour nous, un espace protégé où nous pouvons parler en liberté de nos douleurs et nos colères, et dans lequel nous discutons un féminisme plus ou moins radical, mais qui nous permet de tenir la tête hors de l’eau. Aussi, nous apprenons à nous battre, et ça c’est génial.

 

Les LGBT antillais

Les spécificités des LGBT aux Antilles

Marianne Pairraut

La situation des LGBT Martiniquais pourrait être comparable à celle des LGBT des villages et régions isolées et conservatrices, sur le continent. Le coming out est particulièrement difficile aux Antilles et comporte d’importants risques d’altération des réseaux dans lesquels évoluent des LGBT (famille, amis, travail, voisinage). Les mineurs sont particulièrement exposés, car ils ne disposent pas de structure d’accueil en cas de rejet familial, et souffrent régulièrement de harcèlement à l’école une fois leur orientation et/ou identité sexuelle connue ou soupçonnée.

La situation insulaire des LGBT Martiniquais est toutefois plus critique que celle des hexagonaux isolés. Sur le continent, les LGBT des villages reculés peuvent en effet avoir régulièrement accès aux réseaux de sociabilité LGBT des agglomérations de leurs régions respectives, voire de la capitale. Les LGBT martiniquais quant à eux ne peuvent se réfugier nulle part dans l’anonymat. Celui-ci ne prend forme que dans l’exil ou la clandestinité.

L’ostracisme et le phénomène du placard poussent de nombreux LGBT à quitter jeunes la Martinique pour l’hexagone en quête d’un lieu où ils pourraient vivre librement leur orientation et/ou leur identité sexuelle. Ces départs peuvent être l’accomplissement d’un projet universitaire ou professionnel. D’autres partent à la recherche d’un cade de vie accueillant, sans projet professionnel, sans soutien familial, ce qui mène assez souvent à des drames humains (précarité, abandon familial, addictions, prostitution).

Les LGBT ayant réalisé leur coming out peuvent aussi être amenés à quitter l’île suite à des agressions physiques et/ou verbales, ou suite à la dégradation profonde de leurs relations avec leurs différents réseaux.

La couleur de la peau des victimes d’homophobie joue un rôle important, pas forcément dans l’intensité, mais surtout dans les motivations politiques de la violence. Les LGBT noirs sont rejetés par les Antillais homophobes comme étant des déviants, des pervers, potentiellement dangereux pour l’équilibre et la reproduction de la société, ou encore comme étant des individus acculturés, non respectueux de traditions et de valeurs dites martiniquaises.

Les LGBT blancs sont quant à eux identifiés comme la source d’une supposée expansion du phénomène homosexuel en Martinique. L’homophobie à leur encontre tient davantage du repli identitaire et de la xénophobie. Ils sont directement ou indirectement désignés responsables de l’orientation homosexuelle des noirs LGBT.

La religion n’est pas la cause de l’homophobie particulière aux Antilles françaises, mais elle alimente les discours discriminatoires. Les textes religieux sont utilisés par les homophobes comme prétexte pour légitimer le rejet des personnes non hétérosexuelles. Le développement de congrégations religieuses évangélistes, pentecôtistes et aussi bobo-shantis ayant un discours ouvertement hostile à la diversité sexuelle alimente amplement quant à lui la légitimité symbolique des comportements homophobes.

Dans le cadre des manifestations relatives au Mariage pour tous, les associations affiliées aux églises chrétiennes martiniquaises se sont amplement mobilisées contre le projet de loi, avec un discours très dogmatique, qui s’appuyait plus sur les textes sacrés que sur des arguments laïcs. Une fois affilié à la « manif pour tous », le mouvement s’est cependant rapproché des discours nationaux (adoption, PMA, GPA, amalgame avec polygamie et pédophilie…).

Toutes les personnalités politiques qui ont pris publiquement parti au sujet du mariage pour tous étaient opposées au projet de loi, et la plupart utilisaient des arguments religieux et culturels pour justifier leur opposition, allant jusqu’à plaider pour une spécificité antillaise qui empêcherait l’application de cette loi sur notre territoire.

Quelques personnalités politiques d’envergure ont cependant pris position en faveur de ce projet de loi à la veille du vote au Parlement, mais elles n’ont pas manifesté publiquement leur adhésion.

Les politiques gouvernementales s’appliquent aux Antilles. C’est sur le terrain que l’on rencontre des freins à leur mise en œuvre. Les agents de l’État n’adhèrent pas a priori aux projets de lutte contre l’homophobie ou d’enseignement sur le genre, et il faut parfois sauter des barrières personnelles pour accélérer le processus. D’une manière générale, la loi existe et les directives sont suivies. Mais l’une et l’autre sont mal connues, très peu diffusées. Les victimes ne connaissent pas bien leurs droits, n’osent pas porter plainte de crainte de la double peine (sortie du placard forcée). Ce phénomène existe aussi sur l’hexagone, mais est renforcé par la situation insulaire, et par l’absence de véritable association de soutien des LGBT. Le renforcement de Kap Caraïbe au cours des derniers mois est en ce sens un signal positif.

Sources :

Nadia Chonville, Homophobie aux Antilles : persistance d’une discrimination dans un contexte postcolonial, Mémoire de Bachelor, Sciences Po Grenoble, 2010

Nadia Chonville, Résistance de l’homophobie à Puebla : analyse des facteurs de persistance des atteintes aux droits et à la dignité des lesbiennes, gays, bisexuels et transsexuel(le)s dans l’État de Puebla, Mexique, Mémoire de Master 2, Sciences Po Grenoble, 2012

Nadia Chonville, Analyse de l’apprentissage de l’hétéronormativité dans les institutions éducatives en Martinique, Thèse de doctorat en cours, UAG, 2013…

Nadia Chonville, La Démocratie laïque à l’épreuve : limite du débat sur le Mariage pour tous en Martinique, Février 2013