culture

 

Migration, réfugiées : quelles formes de solidarité ?

Erin Power du Collectif britannique gay et lesbien sur l’immigration

 


J’aimerais remercier les organisatrices de ce forum de nous avoir donné la possibilité de discuter avec d’autres lesbiennes des défis que nous rencontrons constamment lorsque nous travaillons avec des lesbiennes demandeuses d’asile ici au Royaume-Uni.

Notre premier défi a été d’entrer en contact avec ces lesbiennes et je peux partager ici ce que nous avons fait. Mais comme ce point ne favorise pas vraiment la discussion je préférerais parler des autres questions qui nous posent problème et dont nous aimerions justement discuter avec d’autres femmes.

Autres défis

Pour obtenir l’asile au Royaume-Uni vous devez
- prouver que vous êtes LGB T ou I
- prouver que votre pays est dangereux
- prouver que vous ne serez en sécurité nulle part dans votre pays – comme si un endroit offrant des droits humains fondamentaux pour des personnes LGBTI pouvait exister dans un pays avec un gouvernement homophobe.

Prouver que vous êtes victime de persécution dans votre pays d’origine peut être compliqué mais prouver votre orientation sexuelle est l’obstacle majeur et la raison pour laquelle la plupart des demandes d’asile LGBTI sont refusées.
Comment prouvez-vous votre identité sexuelle ou de genre ? C’est tout simplement impossible.
Vous pourriez donner des preuves de relations sexuelles, comme notre client qui réussit à bloquer le fax du Ministère de l’Intérieur en envoyant des photos de lui en train de faire l’amour – mais n’importe qui peut avoir des relations sexuelles avec quelqu’un du même sexe.

Vous pouvez donner des preuves fournies par des personnes qui vous connaissent – mais peut-être mentent-elles pour vous aider.
Vous pouvez fournir des documents médicaux prouvant que vous avez été torturée, par exemple, mais j’ai entendu un juge dire à une femme qui avait été arrosée d’eau de javel par la police parce que manifestement elle voulait être blanche, qu’elle avait pu se faire elle-même ses cicatrices.
Beaucoup de nos clientes ont été mariées suite à la pression de leur famille, de sorte qu’elles rentrent encore moins dans le moule étroit et rigide que nous – gouvernement, ministère de l’Intérieur, tribunaux- établissons pour définir un-e demandeur-se d’asile "authentiquement" LGBTI.
En fin de compte il s’agit de crédibilité – est-ce que votre histoire est crédible?

Dans notre travail nous devons faire face constamment aux dommages provoqués quand on nous met de force dans une case avec une étiquette sexuelle ou de genre, c’est une conception étroite et limitée de ce que ça représente, qui est imposée à nos client-es.

Il n’y a pas de place dans la loi, dans les tribunaux ou dans la politique gouvernementale pour la complexité de l’identité LGBTI.

La définition de l’identité sexuelle ou de genre utilisée pour évaluer "l’authenticité" d’ un-e demandeur-se d’asile, n’est guère plus subtile que l’idée souvent citée d’un employé du Ministère de l’Intérieur que tous les candidats gays à l’asile auront lu Oscar Wilde ou quand on se réfère aux gays comme devant aimer Kylie et les cocktails très libres comme l’a fait sous forme de plaisanterie un juge dans une décision historique de la Cour Suprême.

Si notre vision de l’identité est aussi restrictive, nous n’avons d’autre choix qu’être d’accord avec les leaders africains qui régulièrement dénoncent l’homosexualité comme une maladie importée du monde occidental.

Nous accompagnons une jeune femme africaine qui est éduquée et d’un milieu bourgeois confortable. Elle a été mariée par sa famille quand elle avait 18 ans à un homme influent socialement et politiquement. Elle a un enfant. Dans son pays d’origine elle a rencontré une touriste lesbienne et a eu une courte relation.

Son mari l’a battue et violée à maintes reprises. C’était devenu si grave que la mère de cette femme a décidé de payer un passeur pour la sortir elle et son enfant du pays. Au moment de partir ce passeur a refusé de prendre aussi l’enfant qui est donc resté avec sa grand-mère. Depuis, son mari a récupéré l’enfant et refuse qu’il voie ses grands-parents.

Le passeur l’a emmenée d’abord au Danemark où il l’a violée et l’a prostituée. De passeur en passeur qui l’ont tous violée et prostituée elle a traversé l’Europe. Quand elle est arrivée au Royaume-Uni elle a été arrêtée pour être entrée illégalement avec de faux papiers et elle a été envoyée en prison. En prison elle était entourée de lesbiennes et eut pour la première fois l’impression d’être comprise et un sentiment d’appartenance. C’est triste de le dire mais pour elle l’endroit où elle s’est sentie le plus en sécurité de toute sa vie a été dans une prison britannique.

En apparence rien ne la distingue de n’importe quelle jeune et jolie hétéro. Comment prouve-t-elle son orientation sexuelle ?

Nous avons travaillé avec un couple musulman pendant deux ans avant que l’une d’elles accepte que pour obtenir l’asile elle serait obligée de révéler sa relation de neuf ans avec une femme et d’affirmer qu’elle ne voulait pas d’une quelconque autre relation. C’est une façon détournée de dire qu’on est lesbienne. Malgré tout, cet aveu a conduit cette femme à une dépression et à une consultation psychiatrique où on lui a prescrit un traitement lourd.

Pour soulager notre conscience et effectivement nous nous sentons coupables d’encourager nos client-es à entrer dans le moule de la loi et de la politique de l’identité LGBTI, cette femme nous a dit que la seule bonne chose dans sa vie était le projet Babel.

Le projet Babel fait partie de ce que nous avons mis en place pour nous opposer aux contraintes d’identité imposées aux demandeurs et demandeuses d’asile LGBTI.

Depuis des années nous aidons à la socialisation des personnes avec lesquelles nous travaillons, nous organisons des sorties, des voyages et des fêtes et tous ces moments sont importants. En décembre dernier, une assistante sociale qui suivait l’une de nos clientes nous a dit que la perspective de la sortie avant Noël sur le London Eye, la grande roue de Londres, avait été la seule chose qui l’avait empêchée de se suicider la semaine précédente.

Mais le premier projet majeur que nous avons mis en place et qui s’appelle Staying, nous avait convaincues que proposer des façons différentes d’exprimer son identité sexuelle ou de genre était une partie vitale de notre travail.

Staying consiste en un livre, une performance, des photos, des histoires écrites, des images et bien plus encore basés sur les vrais mois que les femmes ont exprimés dans ce projet. On l’a appelé Staying c’est-à-dire rester parce qu’une des participantes quand on lui avait demandé où elle vivait avait dit "Je ne vis pas, je reste à Brixton – je ne vivrai pas tant que je ne saurai pas qu’on m’a accordé l’asile".

L’artiste Oreet Ashery dit à propos du projet "Je voulais faciliter les processus par lesquels l’écriture et l’interprétation de soi-même et de ses expériences sont dégagées de la nécessité de ‘prouver’ quelque chose, de dire la vérité ou d’être très précis-e, de se rappeler des dates et des détails, de justifier encore et encore les trous qui peuvent apparaître dans la mémoire et les souvenirs, lorsqu’on vous interroge comme un criminel suspect. Je voulais que les participant-e-s aient la possibilité de raconter leur histoire et de mettre en spectacle leur identité d’une façon qui laisse la place aux trous, aux dérapages, aux répétitions et à de nouvelles manières d’incarner et d’imaginer leur moi. Je ne voulais pas qu’ils et elles créent, jouent, parlent ou écrivent de la fiction. Je voulais qu’ils et elles s’expriment et expriment leur expérience authentique d’une manière qui leur serait nouvelle et en la mettant en scène."

Babel a été notre deuxième projet majeur mis en place avec le Théâtre "Young Vic" en mai 2012. Babel fut joué dans le cadre de London Stages (scènes londoniennes) 2012.

Quand j’ai demandé à quelques hommes qui participaient à Babel ce qu’ils ressentaient, l’un d’eux, qui entre parenthèses ne cadre absolument pas avec les critères requis pour prouver qu’on est gay, m’a dit "C’est fantastique ! A Babel j’oublie qui je suis."

Est-ce qu’il oublie comment le voient pays d’origine, société, communauté, famille ?

Est-ce qu’il oublie comment le voient le gouvernement, le Ministère de l’Intérieur, les tribunaux, la société britannique y compris la communauté LGBTI ? Est-ce qu’il oublie comment il se voit ?

Est-ce que pendant deux heures par semaine il est capable d’être n’importe qui et de faire ce qu’il désire ?

Y a-t-il une meilleure définition et expression de son identité possible ?

Questions ?

Les questions que j’aimerais soulever pour celles qui travaillent avec des demandeuses d’asile lesbiennes sont les suivantes :

Comment acceptons-nous le fait que nous ne voyons que les privilégiées ? Les femmes qui ne sont pas éduquées ou qui n’ont pas d’argent ou qui ne sont pas indépendantes, ont rarement la possibilité de quitter leur pays d’origine.

Associé à cette question est le problème de comment traiter le conflit entre les organisations militantes et les activistes du pays et les personnes qui sont parties.

J’aimerais aborder les problèmes moraux soulevés par les jugements de savoir qui est vraiment gay. Il est exact qu’au Royaume-Uni des personnes se font passer pour gay ou lesbienne pour obtenir le droit d’asile.

Et ça soulève aussi le problème de conflit avec des personnes ou des organisations ici au Royaume-Uni qui encouragent les gens à mentir.

Entrer en contact avec des lesbiennes

En 2007 nous avons constaté que la majorité de nos clients étaient des hommes homosexuels. Nous avons décidé de mettre en avant les problématiques lesbiennes dans tous les domaines de notre travail
- en trouvant davantage de lesbiennes
- en exposant les problématiques lesbiennes au Ministère de l’Intérieur et aux juges de l’immigration
- en incluant les problématiques lesbiennes dans les brochures d’information des pays d’origine
- en sensibilisant les formateurs /formatrices

Pourquoi avons-nous fait cela ?

Avant 2006 dans leurs refus le Ministère de l’Intérieur et les tribunaux déclaraient généralement que les lesbiennes n’étaient pas persécutées de la même façon que les gays et qu’en conséquence n’avaient pas besoin de protection.

Si la loi du pays qui criminalise l’homosexualité ne faisait pas référence aux lesbiennes, on estimait qu’elles n’étaient pas persécutées par le gouvernement.

On estimait que les lesbiennes ne faisaient pas partie d’un groupe social particulier.

On ne croyait pas qu’elles étaient de “vraies” lesbiennes (en particulier quand on les avait mariées de force et qu’elles avaient des enfants).

On disait aux lesbiennes qu’elles pouvaient se montrer "discrètes" et aller habiter dans une région différente de leur pays.

En juin 2011 les tribunaux ont reconnu que toutes les lesbiennes en Jamaïque étaient en danger – ce fut une avancée énorme qui reconnaissait que la persécution fondée sur le genre était de la persécution. Il fallut 6 ans entre le moment où le Royaume-Uni reconnaissait que la Jamaïque était un pays dangereux pour les hommes gays .et le moment où il reconnaissait que c’était aussi un pays dangereux pour les lesbiennes.

Qu’y –a-t-il de spécifique concernant les demandes d’asile déposées par des lesbiennes ?

Les choses sont bien plus difficiles pour les femmes, aussi bien dans leur pays d’origine qu’en tant que demandeuses d’asile au Royaume-Uni :

• persécution fondée sur le sexe – différente de la persécution pénale
• double discrimination – on les accuse de ne pas être de "vraies" femmes
• viol – violence sexuelle – pour punir ou guérir
• femmes seules – sans compagnon masculin dans les cultures machistes
• problèmes de santé liés au viol
• mutilations sexuelles génitales
• problèmes psychologiques
• mariages forcés –maternité forcée (si on est mariée on ne peut pas être lesbienne)
• menace de crime "d’honneur"
• honte et stigmatisation pour la famille si on n’est pas mariée
• solitude – pas de lieux de rencontres, de drague, pour faire la fête, pas de bars gays ou de sites internet
• oppression des femmes dans le pays d’origine plus grave. Raisons pour lesquelles il y a moins de lesbiennes qui fuient. Moins de mobilité, moins d’argent de la famille, moins de chances d’obtenir un visa d’études ou de tourisme
• obligées de partir sans leurs enfants
• identité lesbienne – la conception occidentale de ce qu’est l’identité lesbienne. On n’est pas crue au tribunal parce qu’on n’est pas perçue comme "butch" ou perçue comme trop féminine pour être lesbienne.
• la conception occidentale de ce qu’est une relation ou un partenariat
• moins d’aides financières au Royaume-Uni. Aucun-e demandeur ou demandeuse d’asile n’a le droit de travailler mais il y a moins de petits boulots au noir disponibles pour les femmes
• manque d’information dans les rapports sur les pays d’origine. Non reconnaissance de la persécution des lesbiennes
• moins de chances que leur demande soit acceptée que pour un gay.

Quelles démarches entreprendre pour rendre les lesbiennes plus visibles ?

• Il a fallu tout d’abord le soutien de toute notre organisation – nous ne sommes pas une organisation lesbienne – en conséquence il fallait nous assurer que les gays comprenaient
• Trouver des clientes – de bouche à oreille, par exemple en demandant de faire circuler l’information dans les réseaux lesbiens jamaïquains et ougandais
• On a demandé à nos clients gays de venir avec leurs amies lesbiennes et à nos clientes de venir avec leurs amies
• On a parlé à des organisations de femmes
• On s’est adressé à des groupes de soutien aux réfugié-es
• On s’est adressé à des groupes LGBTI
• Lors de nos réunions ouvertes on a mis en avant les problématiques lesbiennes
• On a organisé des réunions de soutien aux lesbiennes
• Nos groupes de soutien ne concernaient pas seulement le droit d’asile
• Nous les avons voulus amusants, passionnants, optimistes, axés sur l’entraide entre lesbiennes
• Nous avons invité un certain nombre d’intervenantes à assister aux réunions, pour discuter de problèmes liés à la santé et au bien-être des lesbiennes, de la façon de concilier religion et sexualité
• Nous avons organisé des excursions, des pique-niques, des sorties au théâtre et au cinéma
• Nous continuons à être partie prenante dans des projets théâtraux, mais le premier en 2009 fut le projet “Staying” qui était non mixte.
• Qu’est-ce que le projet “Staying”? Un projet artistique facilité par l’artiste Oreet Ashery et la compagnie Artangel
• 14 demandeuses d’asile lesbiennes ont participé à des ateliers pour parler de leur expérience en tant que demandeuse d’asile. Les femmes créaient un "alter ego" pour raconter leur histoire.
• Des personnages tels que Treeman, Bin, Cloud, Rebel With a Cause, Dream, Super Lover et CameraGunMan se sont exprimés sur des problèmes en relation avec leur orientation sexuelle tels que l’immigration, la fuite, la religion, la politique et la sexualité
• Ce fut l’occasion pour ces femmes d’exprimer autre chose que leur simple identité de demandeuse d’asile
• Elles ont décrit leur identité réelle de femmes fortes et pleines de vitalité avec leurs propres talents et réussites.
• Nous avons utilisé cette publication lors de séances de formation et de travail de groupe pour faciliter la discussion sur des problèmes spécifiques aux lesbiennes demandeuses d’asile
• Le projet eut un énorme succès, et sa présentation a permis de rassembler le monde artistique et le monde des réfugié-es
• Les lesbiennes demandeuses d’asile faisaient la une des médias dans des journaux nationaux tels que le Times, le Guardian, et l’hebdomadaire Time Out.
• 500 exemplaires du livret furent imprimés
• On peut télécharger le dossier en entier sur www.artangel.org.uk

D’autres points pour aider à rendre les lesbiennes plus visibles

En 2010, notre organisation UKLGIG a publié un document passant en revue le traitement fait aux demandeurs et demandeuses d’asile ici au Royaume-Uni, intitulé « Pas à la Hauteur ». Bien que ce document ne concerne pas que les lesbiennes il y a un chapitre consacré aux problématiques lesbiennes et aux raisons pour lesquelles elles n’arrivaient pas à obtenir le droit d’asile.

De plus notre organisation a apporté une contribution majeure au rapport Stonewall intitulé « Pas de retour possible ». De nouveau il ne portait pas uniquement sur les demandeuses d’asile lesbiennes mais nous avons réussi à ce que les problématiques lesbiennes soient abordées.

Quels Résultats ?

• Nous avons réussi à rendre les lesbiennes plus visibles dans notre base de données- elles représentent maintenant presque 50%.
• Nous avons continué à mettre l’accent sur le travail en direction des lesbiennes
• Nous avons contribué à renseigner les pays d’origine à partir de notre expérience de cas de lesbiennes que nous avons suivies
• Nous avons contribué à la formation d’assistants sociaux au sein du Ministère de l’Intérieur.
• Nous avons participé à la rédaction de plans de formation, et de projets pilotes pour les travailleurs sociaux et inclus dans la formation un programme concernant les lesbiennes mettant l’accent sur une problématique différente de celle des gays.
• Le droit d’asile est accordé à davantage de lesbiennes. Il est maintenant admis que la persécution vient de la société et que l’État n’est pas capable d’offrir une protection (cf. le cas de la Jamaïque en juin 2011).