Résistances : anticorps - visibilté - una terra di donne - radicalité
Source : www.coordinationlesbienne.org
www.cineffable.fr/fr/edito.htm
Quand on s’investit à Cineffable, on fait le choix de l’action militante dans la culture. La plupart du temps, on vient d’abord au festival en spectatrice, pour la culture. Et ensuite on y revient en actrice pour contribuer à l’existence du festival qui permet la diffusion de la culture.
Le festival est-il militant ?
- Il est organisé par des femmes pour des femmes, et plus encore par des lesbiennes pour des lesbiennes.
- Sa programmation est constituée de films lesbiens et féministes, de réalisatrices uniquement.
- Il diffuse des films dont peu bénéficient d’une distribution, invisibles dans les circuits "commerciaux".
- Il se déroule en non mixité.
- C’est un événement lesbien revendiqué.
- C’est un lieu d’échanges et de débats.
- Son organisation est entièrement bénévole, non hiérarchique, et repose sur l’autonomie financière.
- Il propose une pluralité de formes artistiques à une pluralité de lesbiennes et de manières de vivre leur lesbianisme.
Pour tout ça, nous répondons oui. D’autant plus qu’il faut constamment se battre et argumenter pour défendre et maintenir ces choix, notamment le premier d’entre eux : la non mixité et son corollaire le choix de s’organiser de façon autonome entre lesbiennes. C’est le cas pour trouver et garder un espace où installer le festival, c’est le cas pour obtenir des financements (publics comme privés), c’est le cas pour rendre l’événement visible dans les médias (en dépit de sa longévité et de son importance) et c’est aussi le cas pour renverser les préjugés d’une partie des lesbiennes ou femmes homosexuelles et les convaincre de venir se faire leur propre idée sur place. C’est même encore le cas, régulièrement, à l’intérieur de l’équipe.
Mais parfois aussi, on reproche à Cineffable de ne pas être suffisamment militant, ou pas complètement, par exemple lorsque nous ne prenons pas position sur certains sujets, alors même que nous sommes interpellées pour le faire. C’est une discussion que nous avons encore eu en interne en janvier 2013, et qui a renforcé notre point de vue : nous faisons le choix de la pluralité pour les participantes (spectatrices et organisatrices) comme pour les œuvres présentées et les thèmes abordés. Cela signifie ne pas prendre une position tranchée en tant que collectif mais ouvrir le débat aux différents points de vue et avis, donner à voir et à entendre des expressions différentes pour que chacune se forge son opinion et puisse l’exprimer.
Étant entendu que cette ouverture à l’expression plurielle trouve, tout de même, sa limite sur le fondement de principes qui sont pour nous intangibles : opposition au sexisme, à la lesbophobie, au racisme, à la violence, aux extrémismes religieux et politiques…
Un outil efficace ?
Nous apporterons ici le témoignage de notre expérience tirée du festival.
L’action militante par la culture permet de toucher des personnes qui ne sont pas déjà engagées et qui parfois même se revendiquent comme non militantes. Elles viennent pour voir des films de distraction, par exemple, et assistent aussi à des séances documentaires, à des débats. Elles peuvent ainsi être sensibilisées ou simplement informées, et cela peut faire évoluer leur réflexion voire les amener au militantisme.
D’autres sont déjà sensibilisées mais ne savent pas comment s’impliquer, n’osent pas aller directement vers les groupes militants. C’est par exemple le cas de femmes qui sont maintenant actives dans l’organisation du festival.
Un événement culturel est un lieu où le militantisme peut être présent sans être trop marqué. Il permet de faire passer des messages de façon plus accessible voire moins "menaçante" à un public non initié. Un public qui n’a pas les codes et le vécu pour comprendre certaines positions tranchées, celles-ci résultant de cheminements antérieurs parfois très longs. Ce qui est passé et évident pour certaines reste à découvrir pour d’autres et les œuvres culturelles constituent un médium d’illustration, d’entrée en matière, sans avoir forcément à tout revivre. Et là on trouve un point de convergence avec la question des archives et de la transmission qui fait l’objet d’une table ronde cet après-midi.
Une œuvre, un événement culturel donnent à voir des situations ou des interprétations qui permettent d’enrichir sa connaissance, d’y puiser la source de réflexions personnelles, d’évoluer dans son implication. Ces réflexions, cette évolution peuvent être internalisées mais aussi partagées et confrontées lors de débats mais pas seulement. Et c’est là que se distingue un événement culturel militant du tout-venant culturel ou du grand bazar de la culture spectacle. Car le festival n’est pas seulement un lieu où l’on vient "consommer" de la culture. C’est un lieu d’échange, de convivialité, et, au-delà du cadre formel des débats inscrits au programme, des discussions libres s’y engagent par exemple autour de l’exposition ou à la cafétéria. Les contacts avec les nombreuses bénévoles qui font le festival et la possibilité donnée à chacune de s’impliquer, ne serait-ce qu’un peu, contribuent aussi à l’évolution de toutes.
Et c’est une implication joyeuse, ludique qui motive aussi celles qui se sentent rebutées par la réputation trop sérieuse ou "prise de tête" de l’action militante.
Au-delà des festivalières, on peut pointer aussi un impact par ricochet auprès de leur entourage (familles, amis, collègues). L’évolution de chacune infuse dans sa sphère propre et contribue ne serait-ce qu’un tout petit peu à l’évolution générale des mentalités.
Pour les réalisatrices et créatrices, l’événement culturel est le lieu où montrer leurs œuvres, les faire connaître, les confronter au public, pour évoluer dans leur parcours créatif mais aussi pour convaincre d’autres diffuseurs, atteindre d’autres publics et pouvoir continuer à créer.
Bien sûr, tout ça ne fait que très peu bouger les lignes. Les exclusions, les persécutions, les violences sont partout – innombrables, extrêmes, effroyables. Nos événements culturels contribuent à les rendre visibles, à sensibiliser, à faire prendre conscience à une toute petite échelle. Cela peut sembler dérisoire mais c’est aussi un signe lancé à celles qui sont confrontées à ces situations dramatiques. Elles ne sont pas seules. Leurs appels sont entendus, portés dans la mesure de nos forces et de nos relais.
Ainsi il est important de souligner que le festival – comme d’autres exemples d’action culturelle militante – constitue un lieu d’appartenance, un point d’ancrage essentiel. C’est un lieu où on se retrouve, un lieu qui nous rend plus fortes, un lieu où on partage, j’aurais presque envie de dire "communie" si ce n’était pour la référence religieuse. C’est le lieu d’un rendez-vous récurrent, qui nous ressource, grâce auquel on se sent moins isolée, plus forte pour retrouver le monde extérieur.
En cela – et même si cela peut paraître bien peu – un festival culturel constitue un outil efficace d’action militante et de visibilité lesbienne.