Non-mixité : lesbiennes, gays - le choix - un pari
Cette revendication de la non mixité suscite beaucoup d’incompréhension, voir beaucoup d’hostilité.
La mixité est associée à l’ouverture, à la richesse des différences, à celle de la complémentarité des sexes, de la diversité etc…, la non mixité elle, fait référence à un combat d’arrière garde, à une attitude discriminatoire, à un entre soi pathétique.
On peut s’étonner de l’agacement des gays qui sont habituellement peu présents et peu investis dans les débats concernant les problématiques des lesbiennes mais il nous faut également remarquer et entendre les propos négatifs des femmes autour de cette non mixité.
Pourquoi la non mixité
Dénoncer un ordre sexué
Éxiger un espace non mixte ne concerne en rien les relations individuelles ou collectives que l’on entretient dans une immense majorité du temps avec des hommes homos ou hétéros, la qualité des relations amicales ne dépendant pas du sexe ou de l’orientation sexuelle. Par ailleurs, la société étant mixte, la lutte pour développer droits et liberté s’inscrit en grande partie dans la mixité (droit au mariage, l’adoption, l’égalité des droits en matière fiscales etc)...
Au-delà du plaisir d’être ensemble qui est bien réel, la revendication d’un espace non mixte a un sens politique. Les femmes et les hommes bien au delà d’une simple collection d’individus distincts forment des groupes engagés dans des rapports sociaux de sexe.
Le genre en tant que rapport social construit sur la différence est un rapport de pouvoir qui met en évidence la supériorité sociale des significations associées au masculin par rapport à celles associées au féminin. Cette construction sociale des sexes a une dimension symbolique mais aussi matérielle qui s’incarne dans les comportements, dans les statuts différentiés selon le sexe et par une répartition inégale dans les espaces sociaux.
Les femmes, on le sait, doutent souvent de leur légitimité et ont des difficultés à s’imposer, à trouver leur place dans la sphère politique, à intégrer les postes à responsabilité…
Elles prennent plus difficilement la parole que les hommes, investissent moins les espaces publics, etc…
La société s’est construite et organisée dans un système de domination masculine fondant un ordre sexué et même si nous constatons des évolutions, nous sommes loin d’une égalité réelle entre femmes et hommes. Cet ordre sexué est aussi bien porté par les femmes que par les hommes quelque soit l’orientation sexuelle, tant nous avons intégré les schémas sexistes nous assignant à des comportements genrés dont nous ne sommes plus vraiment conscient-e-s.
La revendication d’un espace de non mixité est l’expression de la dénonciation de cet ordre sexué porteur d’une dimension normative et hiérarchique inscrite dans tous les champs de la société : politique, économique social mais aussi privé et ce dés la naissance.
Parce que le sexisme est un outil du système patriarcal, il engendre homophobie, lesbophobie et transphobie. Si nous ne comprenons pas les mécanismes de cette articulation, nous reproduirons les mêmes préjugés, nous serons incapables d’initier un mouvement de déconstruction de ce système.
Favoriser la visibilité des lesbiennes
Les associations LGBT mixtes ne font pas exception, le sexisme et la lesbophobie y sont bien présents et beaucoup de femmes ont des difficultés à trouver réellement leur place. Force est de constater que la problématique LGBT est déclinée très majoritairement au masculin, que les associations sont majoritairement composées d’hommes et les postes à responsabilités occupées également majoritairement par les hommes. Pourtant il est étonnant que le rejet du "féminin" et tout son cortège de stéréotypes sexistes qui touche également les gays, ne les interrogent pas davantage. En effet remarquons que les classiques insultes proférées envers les gays concerne en grande partie les gays "efféminés". Enculés est l’insulte classique, pas enculeurs !!!
La lesbophobie est propre aux femmes car elle les touche en tant que lesbienne et en tant que femme. Dans le milieu LGBT le terme même de lesbophobie est toujours à rappeler, et ces rappels suscitent beaucoup d’agacement. Cette difficulté à imposer ce terme renvoie à l’ignorance du rôle du langage dans la problématique de la visibilité des lesbiennes. Bien entendu le langage est aussi un enjeu de pouvoir . Ainsi, on retrouve au niveau grammatical une capacité référentielle plus importante du genre masculin que le genre féminin. Comme le démontre Claire Michard, la notion d’homme est pleinement déterminée en tant qu’humain tandis que la notion de femme est pleinement déterminée en tant que femelle. Le langage ne sert pas seulement à désigner mais structure la pensée et constitue une grille de lisibilité de la réalité.
Il n’est donc pas anecdotique de vouloir imposer ce terme de lesbophobie, et il n’est sans doute pas anodin qu’il y ait tant de résistances pour la reconnaissance de ce terme auquel lui est préféré homophobie, prétendument neutre. L’affirmation de ce neutre justifie ainsi l’exclusion des femmes.
La lesbophobie comprend une dimension sexiste qui fait qu’elle n’est pas soluble dans l’homophobie.
Batir un projet d’égalité réel : de l’égalité des droits vers le droit à l’égalité
La mixité est encore loin d’être l’égalité, et si on constate dans certains domaines une dynamique égalitaire (avancées législatives) on constate aussi une recomposition du sexisme qui s’adosse à une approche essentialiste et qui célèbre les différences, voir les théâtralise. Effectivement certaines femmes semblent s’en satisfaire, les jeux de pouvoir se réaménagent entre opposition et collusion mais l’hégémonie masculine demeure. La structure de la domination masculine se modifie mais ne se dissout pas. Revendiquer le droit à l’égalité femme/homme, c’est vouloir que cette différence femmes/hommes soit indifférente socialement et politiquement de la même manière que d’autres différences. Il s’agit en fait de porter un projet d’égalité réel .Si elle n’est pas pensée dans ce sens, la mixité pourtant incontournable, ne sera qu’un alibi, qu’un instrument au service d’une politique de marketing, de faire valoir.
Déconstruire l’ordre sexué fondé sur une hiérarchie sexualisée passe par la conscientisation d’abord par les femmes de ce mécanisme de différenciation et de hiérarchisation. Cette démarche de déconstruction est plus facilement accessible dans un espace non mixte encore aujourd’hui. Si le féminisme doit être une aspiration commune des femmes et des hommes à déconstruire l’ordre sexué, c’est d’abord aux femmes de s’emparer de ce combat parce qu’elles sont partout et de tous temps au coeur des discriminations. Certains hommes sont présents au coté des féministes notamment dans le mouvement pour l’abolition de la prostitution. Mais n’oublions que tout a été initié par les femmes, qu’une immense majorité des avancées sociales politiques pour les femmes ont été arrachées par les féministes, et que dire de l’immense contribution des lesbiennes à tous ces combats.
Approprions nous nos luttes, définissons notre langage, partageons nos idées, nos richesses, organisons nos fêtes, trouvons nous, retrouvons nous… alors il sera temps de bâtir une nouvelle mixité en toute liberté dans l’égalité.